vendredi 23 septembre 2011

Un champignon qui se prend pour un ballon

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Louise : Aujourd'hui, je ne vous concocterai pas une fable de La Fontaine, mais j'ai chez moi un organisme bizarre qui aurait très bien pu inspirer ce fameux conteur.
Comment ne pas sursauter à la vue d'une telle étrangeté !
La première fois que j'ai aperçu cet étrange ballon tout blanc au loin sur ma pelouse, je me suis dit qu'un enfant du voisinage devait être bien malheureux d'avoir égaré son jouet. Mais je ne me suis pas approchée; pas le temps, il fallait filer au travail. J'ai vite oublié la chose, l'esprit rapidement accaparé par les mille et un détails de la journée. Mais voilà, le lendemain matin, le ballon immaculé était toujours là, exactement à la même place que la veille, seulement il me semblait vraiment plus gros que dans mon souvenir. Étrange. Je me suis un peu approchée, pour découvrir une balle de baseball du même blanc éclatant qui reposait sur l'herbe à quelques mètres de là !

J'en ai bien eu pour une bonne minute avant de finir par comprendre que j'avais affaire à un champignon d'une espèce qui m'était totalement inconnue. Cet automne-là, j'ai regardé les choses compléter leur cycle de reproduction avec suspicion. Mais je n'ai pas cherché à savoir leur nom : les champignons sauvages sont dangereux, comme tout le monde le sait et j'avais comme principe général de les laisser faire leur vie sans interférer. Quand leur peau est devenue brune et a fendu, révélant un contenu poussiéreux et vert malade, je me suis inquiétée, car j'avais vaguement peur que le nuage de spores libérés soit toxique.

Quelques années ont passé et les apparitions de ballons non identifiés se sont multipliées. Puis, l'amie de ma fille m'a renseignée : mon parterre abritait dans son sous-sol des vesses-de-loup géantes (Giant Puffballs, en anglais) et non seulement, selon elle, elles n'étaient pas du tout toxiques, mais absolument délicieuses! Pourquoi une colonie de Calvatia Gigantea avait choisi d'élire domicile dans mon arrière-cour reste un mystère. Je n'en ai jamais vu dans les alentours, ni nulle part ailleurs.

L'amie de ma fille a eu du mal à me convaincre de la comestibilité de la chose, mais après qu'elle ait emporté un spécimen à un chef cuisinier de sa connaissance pour contre-vérification, je ne pouvais plus douter. Il ne me restait plus qu'à y goûter. Nous avons pelé, tranché et fait cuire la chose dans le beurre et nous sommes passés à table : dur pour le foie, car le champignon avait absorbé une quantité phénoménale de beurre durant la cuisson! J'ai appris plus tard, en poursuivant mes recherches, que quand les vesses-de-loup sont plus matures, leurs pores deviennent moins serrés, les transformant en véritables éponges, et que cette méthode de cuisson n'est plus appropriée.
Je me suis donc renseignée plus à fond sur cette intriguante source de nourriture gratuite. Et j'ai appris une ou deux façons de l'appréter.

Remarquez que la vesse-de-loup n'a pas de pied.
Un champignon est la partie aérienne d'un organisme
végétal qui vit sous terre. C'est un peu comme sa fleur,
dans le sens que c'est une partie éphémère
qui joue un rôle dans sa reproduction en
produisant des spores (sortes de "graines").
Prête pour la récolte.. en prenant garde de ne pas m'empoisonner !

Même si ce champignon revient fidèlement chez moi à partir de la mi-août, je me fais toujours un devoir de relire attentivement sa description avant de le récolter, car je veux absolument éviter de m'empoisonner en tombant sur un imposteur. En effet, quand elle est encore petite (10 cm de diamètre ou moins), la vesse-de-loup géante peut être confondue avec une amanite avant que celle-ci développe son pied. Et ici, nous parlons d'un champignon mortel. Mais il n'y a pas d'inquiétude si on attend que la vesse-de-loup grossisse, car selon les experts, il n'existe aucun champignon dont l'intérieur est blanc pur, de la forme et de la taille d'un ballon, qui serait poison.
Ici, on voit des filaments qui relient le champignon à sa partie souterraine.
On dirait des racines. J'ai appris plus tard qu'il serait préférable de ne pas
arracher les champignons, mais de couper leur pied pour permettre au mycélium
(la partie souterraine) de survivre. Maintenant, je passe un couteau sous la
base de la vesse-de-loup pour la détacher.
À cette grosseur, on ne risque pas de mal identifier la vesse-de-loup.
De plus, elle est encore assez petite pour présenter une chair dense,
facile à cuisiner et bonne au goût.
Pour être certain qu'on a affaire à une vesse-de-loup, il faut la couper en deux.
La chair doit être blanc pur et complètement uniforme dans sa couleur comme dans sa texture,
et elle ne doit présenter aucun "dessin".
Si elle a commencé à changer de couleur, c'est qu'elle a commencé à développer ses spores
et elle n'est plus comestible.
Si vous décidez de cueillir une vesse-de-loup, assurez-vous d'avoir consulté un mycologue de votre région ou un livre d'identification sérieux pour bien comprendre comment identifier tout champignon toxique qui ressemblerait à la vesse-de-loup.
Rappelez-vous : certains champignons sont mortels et leur toxicité est parfois telle que
même un médecin ne pourra plus rien pour l'imprudent qui en aura mangé.
N'oubliez pas non plus que, comme pour tout autre aliment, certaines personnes
peuvent être tout simplement allergiques à ce champignon.
Par prudence, il est conseillé d'en ingérer seulement une petite quantité la première fois
qu'on y goûte, juste pour voir l'effet qu'il nous fait.
On peut facilement nettoyer, couper, peler
et faire cuire un tel monstre en moins de 30 minutes.
Sa chair est délicate, d'un goût relativement neutre,
mais avec des accents forestiers.
À la cuisine...
Il est très facile d'apprêter les vesses-de-loup. Nettoyer l'extérieur sans plonger le champignon dans l'eau, pour ne pas qu'il se gonfle.
Ensuite, le couper en tranches, puis le peler délicatement. La peau s'enlève plus facilement quand le champignon est tranché que quand il est entier.
Après, on le coupe en dés ou en tranches plus petites, selon ce qu'on veut en faire.






Jusqu'à maintenant, j'ai essayé trois façons de faire cuire ce champignon.
- En faire revenir des tranches à la poêle dans du beurre. Délicieux quand il n'y a pas trop de
beurre...
J'ai fait cuire les dés de champignon dans cette petite
étuveuse à légumes en silicone
(un produit de la compagnie Starfrit).
J'ai empli l'étuveuse et j'ai fait cuire dans le micro-ondes
à intensité moyenne durant 2 minutes.
Ensuite, j'ai laissé les cubes refroidir sur une grande assiette,
puis je les ai transférés dans un contenant et je les ai congelés.
- Faire une pâte à crêpe, puis tremper des tranches de vesse-de-loup dans la pâte et faire revenir dans un peu de beurre ou d'huile, comme si on faisait des "toasts dorées". C'est notre recette préférée (pour le moment, du moins).
- Couper la chair en petits dés et faire cuire à la vapeur, puis laisser refroidir et après, congeler pour usage ultérieur, dans une soupe, un ragoût, une sauce à spaghetti. Mais j'ai remarqué que quelques semaines après la congélation, les cubes dégagent une odeur peu appétissante. Je crois donc qu'il vaut mieux les utiliser rapidement.






Il me reste à expérimenter plusieurs autres recettes et méthodes de cuisson. Par exemple, j'ai lu qu'on peut griller des tranches au four, ou évider le champignon, puis le farcir avant de le faire cuire au four. Ce champignon absorbera le goût des autres ingrédients d'une recette.
Certaines sources mentionnent qu'il peut remplacer le tofu et l'aubergine.

J'ai baptisé ce monstre le cochonet. Il a mûri, s'est fendu et s'est ouvert,
peut-être à cause de la surabondance de pluie de cet été.
Il fait plus de 30 cm de haut et presque 60 de long !

Voici un de ses copains, qui doit faire environ 40 cm de diamètre.
Ses couleurs ne sont déjà plus appétissantes et il n'en est pas
encore à l'étape de laisser s'échapper des nuages verdâtres de
spores. Si je le laisse en place, ce champignon sera encore là
au printemps prochain !