vendredi 26 septembre 2014

Qui a peur de planter des bulbes dans son jardin ?

This article in english.

Louise
La toute première floraison printanière : un 
bulbe de perce-neige. Fin mars ou début avril,
selon l'hiver. Cette plante ne se multiplie pas 
chez moi. Elle m'est d'autant plus précieuse.
Établir un jardin de vivaces qui offrira une succession ininterrompue de fleurs, du dégel printanier pratiquement jusqu'aux premières neiges, n'est-ce pas le rêve de bien des jardiniers?

Pour atteindre ce rêve, il faut mettre à contribution les bulbes printaniers, car ils donnent les fleurs les plus hâtives et, en général, elles sont très colorées. Or, quand on fait exception des tulipes, qui fleurissent surtout en mai, on n'en voit pas si souvent dans les plates-bandes. Je me suis toujours demandé pourquoi. En me fiant à mon propre vécu, j'ai l'impression que plusieurs jardiniers, connaissant mal ces plantes, se laissent intimider. Mais je me trompe peut-être. 

Hélène
D'autres facteurs peuvent entrer en jeu. Par exemple, à l'automne, il est possible que cette tâche n'arrive pas en tête de liste, par manque de temps, ou parce qu'on n'a plus le goût de jardiner, surtout en sachant que la récompense ne viendra que 6 mois plus tard. Ça peut aussi paraître un investissement substantiel - il en faut quand même une certaine quantité pour démarrer, ce qui fait que la facture peut sembler trop importante, d'autant plus si le budget "jardin" a déjà été englouti et souvent même dépassé à cette date. 
La tulipe Chansonnette Triomphe est très grande et garde son immense fleur pendant plusieurs semaines. En fait, c'est vraiment impressionnant ! De plus, elle est très tardive (remarquez que les feuilles du tilleul sont déjà bien déployées), Elle fait partie de ces plantes phares chez moi. On ne peut s'empêcher de la voir dans toute sa splendeur, formant un anneau de beauté autour de mon petit tilleul.
Louise
Voici un gros plan de mes crocus "Ruby Giant"
à l'arrière de ma maison. Cette plate-bande est
ombragée par les arbres en été, mais en avril
leurs feuilles ne sont pas sorties et les crocus
ont tout le soleil pour eux seuls.
Pour ma part, je peux parler de mes propres réticences à planter des bulbes, dans l'état d'esprit où je me trouvais il y a quelques décennies. J'ai fait connaissance avec ces plantes après l'achat de notre première maison, lorsqu'au premier printemps dans notre nouvelle demeure, j'ai vu apparaître des feuilles effilées d'un vert rafraîchissant, tout contre le mur de béton des fondations. Ça s'est suivi par de belles fleurs jaune vif: des crocus, un régal pour mes yeux affamés de couleurs. Mais à cette époque, j'ignorais leur nom et je ne savais même pas que c'était des bulbes. Je ne devinais donc pas encore combien les bulbes printaniers pouvaient être précieux dans un aménagement. Obstacle numéro un, donc, mon ignorance. 

Le coloris des bulbes printaniers a de quoi satisfaire tous les goûts, car il comprend aussi bien les couleurs très vives que les teintes pastel les plus délicates. Ici, chionodoxes roses poussant à travers un tapis de couvre-sol variés.
Puis un jour,  je suis revenue à la maison avec une revue de jardinage sous le bras, à cause de la photo de couverture, une superbe talle de crocus jaunes et violets en mélange.
Mais c'était encore insuffisant pour me donner l'impulsion d'acheter de nouvelles variétés. Je n'aurais pas non plus osé multiplier les bulbes que j'avais déjà. J'aurais eu bien trop peur que cela les fasse mourir! Et puis, comment m'y serais-je prise alors que toute trace de mes crocus s'effaçaient quelques semaines à peine après leur floraison ? Obstacle numéro deux: ces satanées plantes disparaissent mystérieusement dès que leur feuillage se dessèche.

À l'achat de notre deuxième maison, pas de crocus dans le jardin. Seulement une talle de feuilles de tulipes qui n'a donné qu'une seule fleur. Tristesse. Je m'étais découvert un manque que je n'avais pas soupçonné jusqu'alors. Je me suis mise à lire tout ce que je trouvais sur le sujet des bulbes printaniers, rêvant de taches lumineuses écloses parmi la végétation brunie de mes quelques plates-bandes de l'époque. Je m'étais abonnée à un catalogue de plantes vivaces que j'avais reçu au printemps. Puis, j'ai reçu de la même compagnie, sans l'avoir demandé, le catalogue d'automne, qui présentait une impressionnante collection de bulbes.
Ce qui m'a confrontée à mon obstacle numéro 3: devoir planter ces bulbes en plein automne me paraissait un tour de force. Comment mettre en terre ne serait-ce qu'un de ces merveilleux bulbes à travers la végétation touffue de mes plates-bandes débordantes ?
Le rêve d'un printemps fleuri était pourtant si vif que, d'une main tremblante, le premier bulbe fût planté, malgré les nombreuses peurs qui m'assaillaient: 
la peur que les bulbes et les plantes voisines se nuisent mutuellement, l'emplacement choisi, le nombre de bulbes à mettre dans chaque trou, la profondeur et la distance entre chaque petit oignon... Mais un petit sac de bulbes après l'autre, la tâche devenait plus facile, la main tremblait moins, les peurs se taisaient. 
Chez Hélène, un anneau de narcisses autour d'un arbre amène couleur et gaîté. Plusieurs variétés se multiplient spontanément, comme ces Original Poet's, une variété patrimoniale.

Le printemps suivant, mes plates-bandes ont été colorées de quelques taches très hâtives, comme souhaité. Je vous partage ici quelques trucs et informations que j'ai découverts avec le temps et que je considère importants :

Pendant que le chat n'est pas là, les souris dansent. Autrement dit, les bulbes printaniers sont des plantes qui profitent d'un grand vide dans la nature, mais ce vide dure très peu de temps. En effet, au printemps, la végétation met un certain temps à se réveiller, puis elle prend un certain temps pour pousser. Les bulbes printaniers sont des petits vites qui se dépêchent de pousser, fleurir et refaire leurs énergies pendant qu'ils ont du soleil, de la pluie et de la place. Ils peuvent aussi profiter de toute l'attention des insectes pollinisateurs. Puis, ils disparaissent avant que d'autres plantes viennent leur ravir cet espace, cette pluie et ce soleil. Tout le reste de l'année, ils se font oublier, car ils sont retournés à un état de dormance prolongé. 
Plus les espèces de bulbes sont hâtives, plus elles sont petites et basses, car elles disposent de très peu de temps pour amasser l'énergie nécessaire afin de grandir et de réaliser tout leur cycle de vie active. Nous autres, jardiniers et jardinières, pouvons tirer profit de ce jeu de chaise musicale en faisant fleurir des bulbes exactement là où apparaîtront d'autres plantes plus tard. 
 
Nous sommes au début d'avril.
Ici, j'ai planté mes crocus par
talles de couleurs différentes
dans une plate-bande près du

 trottoir. Ils sont si hâtifs qu'ils
 sont en fleurs avant même que 
le gazon environnant ait eu la
chance de reverdir !


Même endroit, mi-mai. Les
crocus ont fané. Il reste leur
longues feuilles couchées en
avant-plan. En bleu, des petits
muscaris au parfum merveilleux.
On voit aussi la grosse feuille d'une
tulipe tardive qui ne fleurira
qu'en juin. Au fond, des narcisses

céderont leur place à des bulbes 
d'ail géant en juillet.































Pour maximiser les floraisons dans un espace restreint, on peut planter différentes espèces de bulbes dans la même fosse de plantation. Il s'agit de regrouper des espèces qui ont des hauteurs différentes ou mieux, des temps de floraison différents, comme le démontrent les deux photos précédentes. Par exemple, les crocus fleurissent fin mars, début avril. Les narcisses, fin avril, début mai, pour la plupart. Les variétés tardives de tulipes fleurissent seulement à la fin mai et même au début juin. C'est le cas des tulipes de Darwin et des tulipes Perroquet, entre autres. Dans la catégorie des bulbes à floraison petite et basse, les muscaris sont parmi les derniers à se pointer, autour de la mi-mai et jusqu'au début juin.

Il est plus facile d'installer des bulbes au moment de la création d'une nouvelle plate-bande. Il suffit de s'y mettre au début de l'automne plutôt qu'au printemps. C'est plus facile de planter les bulbes et les plantes voisines pratiquement au même moment, car on y voit plus clair pour disposer chacun à sa place.
Pushkinias bleu ciel, tout délicats, poussant au
travers d'un couvre-sol de petites pervenches. 

Les bulbes printaniers ne peuvent être dérangés que durant leur période de dormanceC'est-à-dire quand leurs feuilles ont bruni et sont complètement mortes. Si vous avez donc à déplacer des bulbes, vous devez leur laisser faire leur floraison, puis attendre que leurs feuilles brunissent. Ces feuilles qui restent vertes pendant quelques semaines après la floraison accumulent de l'énergie pour la future floraison. Si vous coupez les feuilles peu de temps après la floraison (pour déplacement du bulbe ou par esthétisme, par exemple), vous coupez court cette recharge et mettez en péril la floraison subséquente, car les bulbes risquent de mal supporter qu'on leur nuise pendant cette période cruciale pour eux. Mais si vous avez bien positionné vos bulbes par rapport aux autres plantes vivaces, ces dernières pourront graduellement cacher le feuillage jaunissant de vos bulbes.
Les vivaces qui grandissent lentement et forment sagement une talle bien délimitée sont des voisins idéaux pour les bulbes, puisqu'il laissent un espace autour pour creuser sans massacrer leurs racines. De plus, si leurs feuilles s'étendent largement dès le début de l'été, elles cacheront les feuilles jaunissantes des bulbes. Les hostas sont par exemple d'excellents voisins pour les bulbes. 
Bulbes vivaces rustiques et plantes annuelles ne font pas bon ménage. Une plante annuelle, par sa définition, doit être arrachée et replantée chaque saison. Il est facile d'abîmer les bulbes qu'on ne voit pas par un coup de pelle mal placé ou par un dérangement intensif du sol, ce qui est requis pour la préparation du site de plantation des annuelles. Donc, il faut éviter de planter ces deux types de plantes trop près l'un de l'autre.
Fleurs de jacinthe en rose et violet et des tulipes très hâtives en jaune pâle chez Hélène. La jacinthe est une des fleurs les plus odorantes. Une à deux branches est suffisant pour parfumer une pièce.

Les tulipes botaniques "Tulipa Tarda" se 
multiplient avec allégresse chez moi. J'ai 
acheté 10 bulbes il y a 15 ans, de quoi former une 
seule talle. Maintenant, j'en ai 6 ou 8 talles qui 
s'étendent d'année en année. Je n'ai eu qu'à

semer les graines qui se forment dans des
 capsules après la floraison.
Pour s'éviter du travail et des coûts, il vaut mieux choisir des bulbes qui ont tendance à se multiplier. J'adore le parfum des jacinthes et la beauté des tulipes perroquets, mais je n'en achète pas, car chez moi, ces bulbes ont toujours rapidement dégénéré. Les jacinthes sont les pires, car dès la deuxième année, leur floraison est décevante. Ça dépend bien sûr de l'emplacement: chez Hélène, les jacinthes arrivent à se multiplier. Quant aux bulbes estivaux, comme les dahlias et les glaïeuls, ils ne sont pas rustiques. Il faudra donc les sortir de terre en automne et les entreposer pour l'hiver, pour ensuite les replanter au printemps, ce qui est tâche hardue à refaire chaque année, mais qui pourrait très bien fonctionner dans une plate-bande d'annuelles.
À gauche, 2012. À droite, 2013. Comme quoi, certains bulbes se multiplient sans se faire prier.

Par contre, il existe une foule de bulbes qui se multiplieront et reviendront en force l'année suivante, donnant de plus en plus de fleurs à partir de talles de plus en plus grosses. Chez moi, c'est le cas des crocus, scilles, chionodoxes et muscaris. Les narcisses, dont font partie les jonquilles, se feront aussi graduellement plus nombreux (quoique les talles passent parfois par une multiplication de petits bulbes qui ne donneront pas beaucoup de fleurs avant plusieurs saisons). Les tulipes de jardin, qui portent le nom latin Tulipa Gesneriana, et dont l'origine se perd dans la nuit des temps, ont des hybrides de toutes les formes et couleurs, mais plusieurs de ces hybrides ne donneront que de la feuille dès la deuxième année. Les tulipes dites botaniques, c'est-à-dire toutes les espèces de tulipes sauf la tulipe de jardin, sont appelées ainsi parce que, contrairement aux tulipes de jardin, on peut retracer leur origine à l'état sauvage. Elles sont souvent portées à se multiplier si elles sont heureuses là où on les a plantées. Chez moi, c'est le cas des Tulipas Greigii, par exemple. J'ai maintenant plusieurs talles de Tulipa Tarda, car je les laisse monter en graines que je ressème ailleurs lorsque les cosses sont bien sèches. Les tulipes de Darwin reviennent avec tant de fidélité pendant de nombreuses années que certains catalogues les vendent comme des tulipes "vivaces". 
À l'opposé, plusieurs hybrides de tulipes de jardin commencent à s'affaiblir dès la deuxième année.
Hélène : Une petite tulipe qui était supposée être bleue (on m'a vendu les mauvais bulbes), mais qui est néanmoins fabuleuse: elle est la plus hâtive de toutes, faisant plusieurs fleurs sur le même bulbe et fleurissant en même temps que le chionodoxe mauve vu à ses côtés.

Chez Louise, tulipes botaniques "Tulipa Bakeri" poussant à travers une talle de phlox rampant. Les deux floraisons forment un effet ton sur ton. 

Hélène:
Ces gros pompons élancés à 3 pieds du sol par une tige fluette ajoutent une touche féérique au jardin de juin. Après la floraison qui dure quand même quelques temps, mon fils a eu un malin plaisir à jouer avec ce bâton d'où pendait une tête lourde de graines. Un bâton de magicien sans égal!
Étant bien aguerrie avec les bulbes printanniers, je me suis lancée à l'aventure avec les bulbes d'été (enfin, début été), ceux d'oignons décoratifs. Et bien que deux d'entre eux m'ont été chippés par des lapins, le spectacle est magique, surtout pour les petits, donnant au jardin l'impression qu'il est envahi par de grandes bulles de savon flottantes. Qui plus est, ces alliums se retrouvent sous plusieurs formes, couleurs et grandeurs. 

Et maintenant, avec autant de possibilités, plongerez-vous, vous aussi dans l'aventure des bulbes?
De l'Artemise (Artemisia Schmidtiana 'Silver Mound'), des fraises et de la bugle rampante (Ajuga Reptans) émergent les tiges des Alliums. Même le hosta géant en avant-plant ne peut rivaliser en hauteur!

Louise : Pour des conseils judicieux sur la méthode de plantation des bulbes et sur leurs conditions de culture, je vous réfère à l'article de Larry Hodgson.