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Comment mon idée d'un potager a graduellement évolué vers "autre chose":
Il y a presque trente ans, j'ai commencé à cultiver, de façon tout à fait classique, un potager rectangulaire tout au fond de mon arrière-cour, là où se trouvait le soleil. Quelques années plus tard, par manque de disponibilité au printemps, j'ai dû l'abandonner. Mais les vivaces ornementales étant moins exigeantes quant au calendrier de plantations, j'ai pu quand même assouvir ma passion du jardinage avec elles. Enfin, il y a environ 3 ans, j'ai renoué avec l'idée de cultiver des plantes comestibles.
Bien sûr, l'image du potager traditionnel m'est immédiatement revenue en tête. Mais je savais que sur mon terrain, ce n'était plus possible. Une vingtaine d'années s'étaient écoulées pendant lesquelles les arbres présents dans mon arrière-cour et dans celle de mes voisins avaient beaucoup grandi. L'espace autrefois réservé à mon potager n'offrait plus les six heures requises au minimum pour faire pousser la majorité des légumes annuels que nous affectionnons tous: tomates, concombres, haricots, radis, carottes, etc. Si je voulais ce genre de récoltes, je devais me tourner vers le soleil, c'est-à-dire envisager d'utiliser le jardin ornemental en façade de la maison, donc donnant sur la rue.
C'est alors qu'une suite d'heureux hasards m'ont fait découvrir les principes de la permaculture, et à travers elle, diverses techniques, dont la polyculture.
Je me suis alors retrouvée devant le même dilemme que cette lectrice anonyme dont je parlais au début de la première partie de cet article: serais-je obligée d'arracher la majeure partie de mes plantes ornementales vivaces pour laisser une place aux légumes annuels? Moi qui avais tant travaillé dans ce jardin ! Je n'étais pas prête à sacrifier le fruit d'autant d'efforts pour des tomates, aussi savoureuses puissent-elles être.
Presque trente ans de jardinage m'ont fait comprendre que, pour sortir des sentiers battus, rien ne remplace l'expérience personnelle. Je sais aussi que le jardinage est plus affaire de principes généraux que de règles rigides à suivre, puisque chaque jardin, comme chaque jardinier, est unique. Je me sentais donc prête pour relever ce nouveau défi.
Intégrer un jardin comestible dans un jardin ornemental déjà établi:
Mon aménagement n'est pas finalisé. Il ne le sera probablement jamais, de toute façon, car les jardins évoluent et se transforment au fil des ans. Laissez-moi quand même vous raconter ce que j'ai fait jusqu'à maintenant.
Le jardin ornemental existant étant littéralement débordant de plantes, il me fallait en sacrifier certaines, ou du moins, réorganiser l'espace, si je voulais trouver de la place pour les plantes comestibles. Après tout, il était clair que de coincer un plant de tomates entre deux gros hostas risquait de compromettre la récolte de ces délicieuses sphères rouges!
J'ai commencé par un changement qui s'imposait de lui-même:
C'est au printemps 2011 que je me suis relancée dans la culture de plantes potagères. Ce projet coïncidait justement avec l'abattage d'un énorme cèdre blanc (Thuya) qui obstruait entièrement le côté Est de notre balcon de pierres et menaçait d'en abîmer la toiture. D'ailleurs, tout le côté Est de la maison était inutilisable pour jardiner, l'arbre asséchant rapidement la terre et donnant beaucoup trop d'ombre.
Il nous a fallu un permis et la municipalité a exigé que nous le remplacions par un autre arbre. Pas de problème : je voulais des fruitiers, de tout façon. Mon choix s'est porté sur un amélanchier (Amelanchier Canadensis), qui atteindra des dimensions plus modestes, qui nous donne des fruits délicieux au début juillet et peut supporter un peu moins que le plein soleil.
Je l'ai planté à environ 10 pieds (3 m) au nord du thuya et je l'ai entouré d'une couronne de bulbes de narcisses, réputés pour repousser les petits rongeurs et faire compétition aux mauvaises herbes au printemps. J'ai complété avec de l'orpin rampant comme couvre-sol et des astilbes un peu plus loin. J'ai planté de l'herbe à chat (Nepeta) tout près. Nous en parlons en détail dans l'article chats jardiniers, petits fruits en sûreté. Je compte aussi ajouter un plant de consoude, qui aidera mon amélanchier en enrichissant la terre, tout en combattant lui aussi les mauvaises herbes, et aussi quelques talles de ciboulette. Dans ce coin, j'ai aussi essayé d'établir des plants de fraisiers remontants, avec plus ou moins de succès jusqu'à maintenant. Leur établissement sera probablement lent, mais je crois bien que je vais y parvenir. Coup de tête, j'ai pris le risque d'essayer trois plants de canneberges. Le printemps dernier, ils ont finalement succombé, malgré une bonne acidité du sol, un paillis très épais et beaucoup d'eau provenant de l'écoulement du toit. Ce n'était pas suffisant, apparemment. Je les ai remplacés par un hosta odorant.
Je me suis aussi attaquée aux plates-bandes de vivaces:
J'ai fait de la place en relocalisant certaines de mes vivaces, créant ainsi des "îlots" (des espaces dégagés créant des mini-plates-bandes à l'intérieur des grandes). Je me suis ainsi ménagé quelques surfaces assez grandes pour laisser croire à mes légumes qu'ils sont dans un potager, car ils sont tout juste assez éloignés de mes vigoureuses vivaces pour que la compétition ne soit pas un gros problème.
Par exemple, sous la grande fenêtre du salon (photo juste en bas), je peux facilement installer 4 à 6 plants de tomates et les laisser déborder sur le sentier de dalles de ciment qui passe à leur pied, alors qu'ils sont abrités des regards publics par deux autres plates-bandes qui se dressent entre elles et la rue. Entre eux, quelques pots de fleurs annuelles sont déposés là, en attendant que les plants de tomates remplissent l'espace.
Au pied des fenêtres du salon,des légumes en pots et d'autres en pleine terre profitent du soleil et de la chaleur, tout en restant discrets. À droite des fenêtres, une première talle de cerises de terre. En avant-plan, entre un bac de plants de shiso à droite, un demi-baril d'annuelles au nord et un massif de diverses variétés d'hémérocalles à l'ouest, se trouvent l'autre moitié de mes plants de cerises de terre. Ils forment un massif très esthétique, d'ailleurs. |
Fraise-épinard (Chenopodium Capitatum), un petit légume qui prend peu d'espace, mais qui peut se laisser étouffer facilement par les plantes voisines. |
Ces aubergines ont été plantées en sac. |
À travers les plates-bandes, j'ai placé quelques plantes en sacs ou en pots. J'avais déjà 3 demi-barils de bois, dispersés au milieu des plates-bandes. Comme les plantes que j'y installe sont surélevées, ceci leur donne plus de soleil et les protège de l'envahissement par les vivaces. Une prochaine étape sera d'installer dans mes demi-barils des légumes plutôt que des fleurs annuelles, mais je devrai les munir d'une réserve d'eau dans le fond, si je veux qu'ils produisent abondamment sans que j'aie à les arroser deux fois par jour.
Mon jardin est tout à fait dans l'esprit de l'époque victorienne en Angleterre. On appelait cela un "Cottage Garden": un méli-mélo planté serré d'une grande variété de plantes, surtout des vivaces ornementales. J'ai simplement ajouté des plantes potagères et elles ne sont pas toutes cachées à la vue des passants, comme le démontre la photo ci-contre.
Voici la liste de ce qui était déjà sur place:
plus de 40 espèces différentes de vivaces (sans compter les variétés d'une même espèce), une demi-douzaine d'espèces d'arbres nains et d'arbustes, et une dizaine d'espèces de bulbes printaniers (encore ici sans compter les variétés d'une même espèce).
À travers tout cela, j'ai semé ou planté, avec plus ou moins de succès selon les espèces et les saisons, plusieurs plantes potagères : tomates, concombres, melons, piments et poivrons, haricots et pois, aubergines, laitues diverses et choux, carottes, radis et betteraves, quinoa, fraises-épinards, épinards de Malabar, patates et cerises de terre. Et je pratique aussi une rotation de ces cultures, pour ne pas planter la même famille de légumes au même endroit, année après année, ce qui finirait par appauvrir le sol et possiblement attirer des insectes ou maladies propres à chaque espèce.
Voici de quoi avait l'air ce petit îlot potager au moment de la plantation, au printemps 2011. J'ai ensuite étendu une bonne couche de paillis entre les jeunes plants. |
Quelques groseilles encore vertes. |
Bien sûr, je ne me contente pas du jardin de façade, car il y a encore quelques endroits assez ensoleillés, dans mon arrière-cour, pour y placer d'autres plantes comestibles. À cet égard, les petits fruits sont capables de se contenter d'un peu moins de 6 heures de soleil. C'est le cas de mes bleuets, groseilles, cassis, camérises, amélanches, framboises noires, fraises et rhubarbes. Mais les légumes ne sont pas entièrement exclus non plus.
Un autre espace m'attendait les bras grand ouverts!
L'étape suivante était toute naturelle: la disparition du thuya ayant dégagé la grande galerie couverte en façade de notre maison. Cet espace est devenu deux fois plus ensoleillé, en surface comme en heures d'ensoleillement. Tout à coup, je pouvais y aménager un bout de potager en très peu d'efforts et de temps : il me suffisait de cultiver mes légumes en pots!
Ce défi était beaucoup plus facilement réalisable que la transformation des plates-bandes de mon jardin ornemental, mais il devait tout de même être bien planifié. J'ai donc fait la liste des avantages et désavantages de mon nouvel espace de jardinage:
- L'approvisionnement en eau de pluie peut se faire sur place, mais la pluie ne peut se rendre d'elle-même à la majorité des plantes, à cause du toit. Je dois donc arroser certains pots ou jardinières même durant les jours pluvieux.
- Ce même toit me permet de tendre des filets ou des cordes ou encore de suspendre des pots pour faire pousser certaines plantes à la verticale. En milieu de saison, celles-ci font un écran de verdure qui nous donne plus d'intimité et protège les laitues des rayons de soleil les plus forts.
- L'orientation plein sud maximise l'ensoleillement par l'est et le sud, mais en fin d'après-midi, vers 16 heures, l'ombre s'installe.
- La chaleur est parfois intense, ce qui demande un apport d'eau très régulier, car l'assèchement des pots qui sont exposés au plein soleil peut devenir un problème important : par temps de canicule, il faut parfois arroser deux fois par jour, sous peine de perdre une plante installée dans un pot ordinaire. Il m'a donc fallu trouver une solution pour diminuer la fréquence des arrosages.
- Les pierres et le ciment des murs de la maison et du balcon absorbent une bonne partie de la chaleur solaire, tout comme l'eau en réserve, d'ailleurs. De plus, l'endroit est protégé des vents dominants. Ces deux facteurs combinés ont pour effet de protéger les plantes des froids printaniers, des baisses de température nocturnes du mois d'août et des premiers gels de l'automne. C'est donc une véritable trappe à chaleur. Je gagne ainsi plusieurs semaines de jardinage en début et fin de saison. Il m'est arrivé de récolter mes dernières tomates fin octobre et cette année, ma roquette (Eruca Sativa) est restée bien vivante jusqu'à la mi-décembre. Il est vrai que cette verdure est reconnue pour résister à des températures très froides, mais quand même, quelle joie !
- Quand je m'occupe de ce bout de jardin, je suis protégée des intempéries; merveilleux quand la journée est fraîche, venteuse et pluvieuse. De plus, je bénéficie d'un bon éclairage artificiel. Ceci me permet de m'occuper de mes plantes après les heures de travail, même après le coucher du soleil, ce qui est pratique au début du printemps et à l'automne. Au milieu de l'été, l'avantage de jardiner en soirée, c'est que la chaleur intense de la journée n'est plus au rendez-vous.
- Ce balcon est idéal pour y cultiver des fines herbes et des tomates-cerises, entre autres, car leur proximité me permet de les récolter à la toute dernière minute, pendant la préparation des repas.
- Dès le début, j'ai installé mes plantes quasi exclusivement dans des pots, bacs ou jardinières à double fond, certains que j'ai achetés, d'autres que j'ai fabriqués moi-même. Le contenant intérieur (le contenant du dessus) doit être perforé par-dessous et ne doit pas toucher directement au fond du contenant extérieur (celui du dessous, qui agira comme réservoir d'eau). On peut y parvenir en plaçant quelques galets, de petits pots de yogourt renversés, ou même quelques briques au fond du contenant du dessous pour surélever le contenant du dessus. Ces objets feront office de "pattes" pour surélever le contenant du dessus. L'idée est de créer une réserve d'eau pour les plantes, sous leur pot ou leur jardinière, mais en évitant que leur terreau soit constamment détrempé, ce qui finirait par faire mourir les racines. Le contenant du dessous doit donc être perforé sur le côté, à la même hauteur que le fond du contenant intérieur, pour laisser s'échapper tout surplus d'eau. On peut placer une bande étroite de tissu au fond du contenant du dessus et en laisser pendre les extrémités par les trous du fond. En trempant dans l'eau de la réserve au-dessous, le tissu aspirera le liquide vers le haut, par capillarité. Éventuellement, les plantes atteindront d'elles-mêmes la réserve d'eau au moyen de quelques très longues racines.
Grâce à ce type de contenant, je peux m'absenter au moins 2 jours durant la pire canicule, sans crainte que mes plantes souffrent de soif.
Favoriser des récoltes successives, moins importantes, mais diversifiées et continues:
Toutes sortes de trucs sont possibles pour maximiser l'espace relativement restreint des pots et jardinières. Par exemple, dès le début de la croissance des laitues, je commence par prélever une partie des jeunes pousses plantées trop serrés et qui se nuisent les unes les autres; à ce stade elles sont bébés et nous les mangeons donc en entier. Vient un temps où je n'ai plus besoin d'éclaircir leurs rangs. À partir de ce moment, je change de méthode de récolte. Je commence à prélever seulement quelques feuilles par plant, toujours les feuilles extérieures. Les plants continuent de pousser, formant de nouvelles feuilles par l'intérieur et gagnant en hauteur.
De cette façon, j'étale ma récolte dans le temps, car je ne tue pas les plants, et en plus, les feuilles sont toujours très fraîches et j'évite de me retrouver avec plus de laitue que je peux en manger en quelques jours. Ils peuvent produire des feuilles toute la saison d'ailleurs, mais avec l'arrivée des chaleurs estivales, les laitues amorcent une autre étape de leur cycle naturel de croissance et les feuilles deviennent de plus en plus amères. Quand cette amertume commence à me déranger les papilles, j'enlève la côte (la partie renflée du milieu) à l'aide d'un couteau et je ne la consomme pas. Je garde seulement la surface plate des feuilles ou, si vous préférez, les "ailes". De cette façon, je réussis généralement à récolter jusqu'à la mi-juillet au moins, même si le micro-climat sur ma galerie est chaud.
Quelques-unes des fleurs de laitue romaine que j'ai laissé sécher sur les plants avant de les récolter. Au coeur de chaque fleur se cachent jusqu'à une dizaine de graines. Il faut les libérer de leur "parachute" duveteux et du calice de leur fleur, ce qui demande du temps, mais n'est pas difficile à faire. |
Finalement, les feuilles se mettent à sécréter un latex blanc à l'endroit où on les a coupées, même sur les "ailes". Elles ne se laissent plus manger. À ce stade, je ne conserve que deux ou trois plants, leur permettant de compléter leur cycle de vie. Ils fleuriront et chaque fleur qui aura été pollinisée se fanera et produira des graines que je récolterai pour mes semis de l'année suivante. J'aurai ainsi obtenu bien plus de graines qu'il m'en faut, ce qui me donnera l'occasion de faire la généreuse avec mes amis, mes voisins et ma parenté. Il est possible de récolter facilement les graines de plusieurs types de légumes d'ailleurs, comme les pois, les haricots, les radis, et les betteraves. Il suffit de laisser quelques plants monter en graines. Dans le cas des plantes donnant des fruits, comme les tomates, les concombres, les piments et les courges, il vous faudra extraire les graines qui se cachent à l'intérieur des fruits, bien sûr.
Gardez simplement en tête que les graines provenant de plantes hybridées et qui sont quand même fertiles ne donneront pas nécessairement des jeunes plants identiques à leurs parents. Mais cela ne veut pas nécessairement dire non plus que ces jeunes hybrides donneront des légumes de mauvaise qualité.
Néanmoins, il y a ici une part de risque et d'aventure. Et parfois, des découvertes intéressantes...
Ma récolte de graines de laitue romaine 2013, à partir des fleurs de deux plants. |
Un bien joli jardin !
RépondreSupprimertoutes ces idées sont bien à mon goût
RépondreSupprimerSylvie